Leader mondial depuis 2010
Brève histoire du nucléaire chinois
Comme dans la plupart des grands pays (USA, France, Royaume-Uni, URSS) le développement du nucléaire a étroitement associé usage militaire et applications énergétiques civiles.
Le programme militaire a été précoce, en coopération avec l’URSS, avec le premier essai nucléaire dès octobre 1964. Il a fallu attendre le milieu des années 1980 pour que le programme énergétique civil soit entamé avec un large soutien technologique occidental : les 2 réacteurs M310 de la centrale de Daya Bay, à proximité de Hong-Kong, mise en service commercial en 1994, sont basés sur la technologie ANP (900 MWe) de Framatome. Mais la conception et l’ingénierie du 3ème réacteur mis en service commercial en 1994, le CNP-300 de Qinshan, étaient chinoises.
La suite du développement fût largement basée sur des technologies françaises (M310), canadiennes (CANDU), russes (VVER) et américaines (AP1000). En 2007 un accord fût aussi conclu avec Framatome (devenu Areva) pour la construction de deux EPR à Taishan lesquels furent mis en service commercial en 2018 et 2019. La centrale est opérée par une joint-venture entre CGN (70%) et EDF (30%).
Une très forte volonté d’autonomie technologique a conduit à des développements chinois basés sur le savoir-faire acquis de l’étranger. La China National Nuclear Corporation (CNNC) a développé les réacteurs CNP-600 (basée sur les technologie CNP-300 et M310) puis le CNP-1000 et l’ACP-1000. L’autre grand groupe chinois, le China General Nuclear Power Group (CGN) a développé de son côté le CPR-1000 basé lui aussi sur la technologie française des réacteurs de 900 MWe. La puissance des réacteurs de conception chinoise a ainsi rejoint les standards internationaux (1.000 à 1.200 MWe). 24 réacteurs CPR-1000 (y compris sa version plus avancée ACPR) sont aujourd’hui en service commercial ce qui représente la plus grande série présente en Chine.
A partir de 2010 la CNNC et la le CGN se sont rapprochés pour développer conjointement, sur base de leurs ACP-1000 et ACPR-1000 un nouveau modèle, l’Hualong One (HPR1000), destiné à devenir le futur standard chinois. Le réacteur a une puissance de 1.170 MWe (brut), 1.090 MWe (net) et est conçu pour une durée de vie de 60 ans. La standardisation et le fait que plus de 80% (voire 90%) des composants seront d’origine chinoise doit donner un avantage de coût pour le déploiement industriel du Hualong One. Fin 2023, trois réacteurs sont en service commercial, le premier étant opérationnel depuis janvier 2021 et 11 réacteurs sont en construction.
Globalement la Chine est devenue leader mondial du développement nucléaire avec un peu plus de 50% des mises en chantier de 2010 à 2023 (49,2 GWe brut sur un total mondial de 98,3 GWe brut) et plus de 40% du total des investissements.
La Chine a aussi entamé le développement de SMR (Small Modular Reactor). Un réacteur HTR-PM (réacteur à lits de boulets refroidi par gaz à haute température) de 210 MWe a été construit et est depuis 2021 en service commercial à Shidaowan. Il devait être suivi de 5 réacteurs semblables sur le même site mais le projet est suspendu en raison du coût trop élevé. La construction d’un autre démonstrateur, l’ACP-100, de 125 MWe de puissance, a été entamée par la CNCC en 2021.
Economie planifiée et déploiement du programme
L’économie chinoise est, nul ne l’ignore, très planifiée. Les plans quinquennaux se succèdent. Le 13ème plan quinquennal (2016-2020) avait assigné pour objectif une capacité nucléaire brute de 58 GWe (58.000 MWe) fin 2020.
Le graphique met en évidence le déploiement du programme nucléaire chinois et en particulier son accélération dans la période 2008-2015.
Le graphique met toutefois en évidence que l’objectif du 13ème plan quinquennal n’a pas été atteint (49,9 GWe en service fin 2020 contre un objectif de 58 GWe). Cela représente néanmoins une augmentation de capacité de 22.200 MWe sur la durée du plan.
Quant à l’objectif du 14ème plan quinquennal, il est plus modeste puisqu’il vise à atteindre 70 GWe fin 2025, soit une augmentation de 20.100 MWe sur la durée du plan.
Une part croissante de la production électrique
Le développement du parc se traduit par une croissance de la production et de la part dans les mix électrique et énergétique chinois.
La croissance de la production a été forte à partir de 2013 avec la mise en service des réacteurs dont la construction avait été entamée de 2008 à 2010. De 2011 à 2022 la croissance moyenne de la production d’électricité nucléaire a été de 15,3% par an. La part du nucléaire dans le mix électrique qui avait atteint 2% en 2003 a dépassé 4% en 2010 pour s’établir à 4,7% en 2022. La part du nucléaire dans l’énergie primaire atteint 2,4% en 2022 après avoir dépassé 1% en 2015.
Des opérations efficaces
Le graphique du facteur de charge du nucléaire (production effective divisée par la production maximale théorique en permanence) met en évidence l’excellente performance du nucléaire chinois.
Le facteur de charge est en effet, à l’exception de la période 2015-2017 marquée par beaucoup de mises en service commercial, toujours supérieur à 85% et souvent proche de 90%.
La part du nucléaire reste cependant limitée
Le graphique suivant représente la contribution de chaque mode de production d’électricité à la croissance du total de la production.
Il met en évidence la part relativement limitée du nucléaire à cette croissance. De 2007 à 2012 le nucléaire contribue pour 2,1% à la croissance (64% pour le charbon et 22% pour l’hydro-électricité). De 2012 à 2017 la contribution monte à 9,5% (42% pour le charbon, 23% pour les nouveaux renouvelables et 19% pour l’hydro-électricité). Enfin de 2017 à 2022 la contribution est de 7,6% celle du charbon de 43,1% et celle des nouveaux renouvelables de 38,5% (5 fois plus que le nucléaire)
Quelles ambitions pour le futur ? 150 réacteurs en plus en 2035 ?
Fin 2021, au moment de la COP26 à Glasgow où Xi Ping était absent, les meilleures agences économiques, les sites spécialisés reconnus et la presse française se font intensément l’écho de l’ambition qu’aurait la Chine de se doter, à l’horizon 2035 de 150 réacteurs supplémentaires, plus que ce que le monde entier en a construit dans les 30 années précédentes (et non pas dans les 35 années précédentes comme l’exagérèrent les communicants). 440 milliards de dollars comme l’annonce Bloomberg, 228 réacteurs en développement comme l’explique le site spécialisé (et reconnu) Energy Monitor. Un gros coup de pression sur le nucléaire français s’il veut rester compétitif comme le titre l’Usine Nouvelle. Le tout conduisant à une capacité installée de 200 GWe fin 2035. Soit 12.000 MWe à mettre en service commercial, chaque année de 2024 à 2035.
La réalité : une part faible de la croissance prévisible
Les investissements sont les meilleurs prédicteurs de l’évolution future. Le (faible) nombre de réacteurs mis en service commercial les 5 dernières années (2,2 réacteurs en moyenne par an de 2019 à 2023 pour 2.450 MWe bruts) et le nombre (peu élevé) de réacteurs mis en construction (4,2 réacteurs en moyenne par an pour 4.760 MWe) sont une bonne indication des perspectives de croissance future.
Il est donc utile de mettre en évidence, pour toutes les sources décarbonées, le potentiel additionnel de production électrique (exprimé en TWh) ajouté chaque année. Les calculs ont été effectués sur base des données de capacités installées publiées par l’AIEA, Ember, l’AIE, et de la National Energy Agency chinoise (NEA). Les puissances ajoutées sont pondérées par le facteur de charge moyen observé en Chine (sur 3 ans) pour déterminer la croissance du potentiel de production électrique. Pour lisser les variations annuelles, une moyenne sur 5 ans (correspondant à la durée des plans en Chine) a ensuite été effectuée.
Le graphique met en évidence l’accroissement rapide du potentiel de production d’électricité décarbonée. Celui-ci reste cependant inférieur à la croissance annuelle de la production d’électricité. L’année 2023 fait cependant exception : la moyenne lissée sur 5 ans monte à 268 TWh mais le chiffre de la seule année 2023 s’élève à 457 TWh.
Le nucléaire représente entre 7 et 15% de la croissance du potentiel de production d’électricité décarbonée de 2004 à 2014. A partir de 2015 cette part est montée jusqu’à 27% (en 2018 et 2019). Elle est redescendue depuis sous le double effet du ralentissement du développement du nucléaire et de l’accélération de celui de l’éolien et du solaire photovoltaïque.
En 2023 , la part du nucléaire, en moyenne lissée sur 5 ans, est de 7% de la croissance du potentiel d’électricité décarbonée soit 11 fois moins que le la part combinée de l’éolien et du solaire.
© Michel Allé
Janvier 2024