Les statistiques de l’énergie, du PIB et le climat
L’énergie
Le premier choc pétrolier a amené la création de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) qui s’est très rapidement attelée à développer un ensemble cohérent de statistiques fiables sur la production et la consommation d’énergie. Outre des données globales sur l’énergie dans ses différentes dimensions (énergie finale, consommation totale d’énergie, transformation), ses différentes sources (fossiles, nucléaire renouvelables) et leurs répartitions géographiques l’AIE publie des études spécialisées sur usages de l’énergie, son efficacité et les différentes sources avec, systématiquement une vision prospective à moyen et long terme. La vision prospective est agrégée annuellement dans le World Energy Outlook qui détaille des scénarios envisageables de transition énergétique. Nous utilisons largement les données de l’AIE même si la prudence s’impose dans leur dimension prospective comme d’ailleurs dans toute étude prospective.
Tout aussi fiable et reconnue est la bp Statistical Review of World Energy, que le géant pétrolier britannique a commencé à publier en 1951. Transférée en 2023 au britannique Energy Institute elle ne comprend pas de données prospectives mais bien des données historiques détaillées avec des séries longues (la plupart depuis 1965) et une répartition géographique complète. Pour les données historiques nous l’utilisons en priorité pour sa cohérence et transparence méthodologiques et pour son exhaustivité.
En ce qui concerne l’énergie primaire les approches méthodologiques de l’AIE et de l’Energy Institute diffèrent sur deux points. L’AIE intègre une estimation de la biomasse traditionnelle (bois de chauffage) que ne comprend pas l’Energy Institute. Pour les énergies renouvelables produisant directement de l’électricité (hydro-électricité, éolien, photovoltaïque) l’AIE considère que la consommation d’énergie primaire est égale à l’électricité produite tandis que l’Energy Institute calcule l’équivalent fossile nécessaire pour produire cette électricité dans une centrale thermique classique. Nous retenons cette dernière approche qui reflète mieux la contribution de chaque source primaire au système énergétique global ; l’explication en est détaillée dans l’onglet « Comment mesurer l’énergie primaire des renouvelables ».
Des données historiques sur la période la plus ancienne (1800-1964) sont indispensables pour comprendre la dynamique énergétique dans la très longue durée. Elles sont disponibles grâce au travail opiniâtre du chercheur canadien d’origine tchèque, Vaclav Smil, qui a consacré une part importante de sa vie de chercheur à leur élaboration sur base des statistiques historiques de consommation de fossiles, essentiellement collectées à des fins fiscales.
Le Produit Intérieur Brut (PIB)
La comptabilité nationale s’est développée d’abord aux USA, après la Grande Dépression, s’est étendue aux autres pays développés après la Deuxième Guerre mondiale et ensuite dans le reste du monde et sa méthodologie s’est progressivement harmonisée notamment pour prendre en compte le passage d’économies de produits à économies de services et intégrer le rôle croissant des Etats.
Le Produit Intérieur Brut est la somme des productions (valeurs ajoutées brutes) par tous les agents économiques d’un territoire déterminé. Cette somme des productions est, bien sûr, égale à la somme des dépenses dans le même territoire (consommation finale privée et publique, investissement, variation des stocks plus les exportations moins les importations) et à la somme des revenus (rémunération, impôts nets, loyers, intérêts et profits bruts).
Le PIB est d’abord calculé en unités monétaires locales mais pour estimer son évolution réelle en volume on exprime le PIB à prix constants en le déflatant par l’indice général des prix. Enfin, pour l’agréger au niveau mondial on le ramène sur base du taux de change moyen de la période à une monnaie commune, de manière standard le dollar des Etats-Unis. On peut enfin, pour comparer, le ramener au PIB par habitant.
Les limites du PIB sont nombreuses : elles ne prennent en compte que les flux monétaires, ne prennent pas en compte les impacts négatifs sur l’environnement, les déflateurs sont imparfaits, l,agrégation en dollar US introduit des biais. L’ingénieur que je suis doit accepter ces Nous utilisons les données de PIB de la Banque Mondiale qui publie rapidement des données cohérentes pour le monde entier.
Quant aux données historiques sur la période la plus ancienne (1800-1959) elles proviennent du travail pionnier de l’économiste britannique Angus Maddison que poursuit aujourd’hui l’Université de Groningue aux Pays-Bas, au travers du Maddison Project Database.
Les limites du PIB ont déjà été évoquées : non prise en compte des facteurs de bien-être non mesurés par des flux monétaires de production, non prise en compte des externalités (négatives ou positives) en particulier en matière de développement durable, imperfection des mesures de l’inflation, biais liés aux fluctuations des taux de change, etc. Seul ce dernier point a été pris en compte en agrégant les PIB des différents pays sur base de la Parité de Pouvoir d’Achat qui, en éliminant l’effet de la surévaluation ou sous-évaluation de certaines monnaies, permet de mieux mesurer le niveau de vie matériel réel. Nous l’utiliserons plus loin et verrons son impact sur l’analyse du lien entre PIB d’une part et consommation d’énergie et émissions de CO2 d’autre part.
Les émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre (GES)
Les mesures d’émission de GES et en particulier de CO2 ont progressé parallèlement à la prise de conscience de leur impact sur le climat. L’AIE et l’Energy Institute Statistical Review publient, en lien avec les statistiques énergétiques, des données d’émissions cohérentes et progressivement affinées remontant à 1970. L’ambitieux Global Carbon Project a complété ces données en y rajoutant des séries longues remontant à 1751 mais aussi des séries intégrant les effets des exportations et importations ce qui permet d’appréhender la consommation réelle de CO2 des différents pays y compris le CO2 redistribué au travers du commerce mondial. Cela sera utile lorsqu’on examinera les situations des pays et zones géographiques.
Enfin, l’AIE, tout comme l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE-EEA) mais aussi des acteurs académiques publient les statistiques d’émission de CO2 résultant de la production d’électricité qui nous seront très utile pour comparer la performance environnementale des pays menant des stratégies d’approvisionnement électrique différentes.
Les statistiques distinguent les gaz à effet de serre d’origine énergétiques, ceux d’origine agricole (« land use ») et ceux liés au changement d’affectation des terres, par exemple la transformation de forêt en terre agricole (« land use change »). Notre sujet étant l’énergie nous nous concentrerons sur les GES d’origine énergétique c-à-d les gaz résultant de la combustion d’énergie fossile qui représentent 86% du total des émissions de GES (dont 75% pour le seul CO2 et 11% pour les autres GES).
© Michel Allé
Décembre 2023